Lettre à une jeune pénaliste
Bruno Dayez (Auteur)
Editeur(s) : Samsa
Car tu ne plaides jamais que pour le principe, parce que tu es fondamentalement opposée à ce système de justice qui fonctionne à la chaîne et dépersonnalise les gens. Parce que tu es intérieurement en révolte contre ce système dont le seul effet concret est d'envoyer massivement à la casse les condamnés dans des mouroirs géants où on les voue à la désespérance. Oui, tu plaides la plupart du temps dans le désert, mais pas toujours, et le vent porte loin. Tu transmets en fait une parole qui ne s'est jamais tue et qui continuera d'être dite dans tous les tribunaux. Qu'elle soit minoritaire ne doit pas t'ébranler ni émousser tes convictions. Tu as foi en l'humain et ta défense ne s'arrête pas à « la veuve et l'orphelin » de l'expression traditionnelle ; elle embrasse l'ensemble de notre condition faillible dont d'innombrables specimen chutent un jour ou l'autre, en raison de la dureté de leur vie la plupart du temps. Tu éprouveras à travers eux ta propre vulnérabilité et seras souvent saisie de ton étroite parenté avec ceux que la justice prétend châtier comme ils le méritent. Et tu seras saisie d'effroi à l'idée que ç'aurait pu être toi, seuls les hasards de la vie en ayant décidé autrement. Quelquefois même, tu appréhenderas la peine à laquelle ton client est condamné comme si tu devais la subir dans ta propre chair. Des jugements qui t'auront semblé trop sévères te hanteront. Pas un matin ne se lèvera sans que tu n'aies une pensée pour tel ou tel de tes clients qui tue le temps dans sa cellule bien que tu aies bataillé ferme pour que cela n'advienne pas.
* Sous réserve éditeur