Les années cinquante et soixante, avec leurs traques mémorables grâce notamment au réapprovisionnement en cartouches Mauser, ont peu à peu dépeuplé le territoire et refoulé les chamois restant aux confins des arêtes et du ciel. Confinés aux forts les plus inaccessibles après les grandes rafles des jours d'ouverture, seuls les hommes les plus audacieux, les bottes les plus téméraires se hasardaient à les y approcher. Au petit nombre de ceux-ci, Henri Meunier, « l'étranger » admis à siéger, se replonge pour nous dans cet univers passionnel, dans l'art, la manière et les ambiances si fortes et si particulières qui s'installaient sur cette montagne du Villar l'automne revenu.

Personne ne nous avait encore entraînés aussi loin, le coeur pressé, ouvert jusqu'à l'émotion, dans la quête de l'animal soudain mythique en ce milieu d'une beauté inouïe et cruelle. L'homme défie les éléments jusqu'à la limite de ses moyens, jusqu'à l'incapacité d'hésiter à mettre en jeu son propre destin.

Et si vous ne vous êtes pas contentés d'attendre l'auteur à la cabane, si, poussés par son démon vers ces hauts-lieux si beaux et si violents vous l'avez suivi de barre en vire, regardé de ses yeux, si vous avez perçu les odeurs et les saveurs dont celles du bonheur et de la peur, alors vous savez comment et pourquoi, ci et là, de temps à autre s'arrête une vie de chasseur, brisé net sous l'oeil indifférent de la bête convoitée.

Aujourd'hui, le temps de La Chasse aux grandes sensations semble révolu. La protection de l'espace voulue par ceux qui, très justement, voyaient l'espèce menacée d'extinction, a conduit à l'explosion des populations de chamois et montre ses effets pervers : chasse le chamois qui veut, où il veut et le plus fréquemment sans grande recherche ni difficulté.

Dans son potager, au pied des montagnes de Lavaldens, Henri Meunier, chantre de la gestion durable et qui, au Villar, en a obtenu les plus beaux résultats connus à ce jour en Europe, ne manquera pas de méditer sur certaines évolutions. Amertume ? Regrets ? Mais pour toute génération, le bonheur n'est-il pas d'avoir existé au bon moment ?