Là où le religieux ne peut se développer, là où les arts n'ont aucune place, là où le bouleversement par la mort ou par l'amour est privé de toute profondeur, banalisé, la philosophie et sa pratique ne peuvent prospérer.

À travers l'histoire, l'autodestruction de la philosophie s'est opérée par la destruction de son caractère théorique, destruction reposant sur le fait que le monde est de plus en plus considéré comme la matière première de l'action humaine. Quand le monde n'est plus vu comme une création, il ne peut plus exister de « théorie » au sens propre. Cette constatation amène Pieper à poser des questions essentielles sur ce que signifie philosopher :

« Il est dans la nature de la philosophie de dépasser le monde du travail, mais où entre l'homme qui dépasse le monde du travail ? - De quelle nature est le monde de l'homme ? - Celui qui affirme savoir et comprendre peut-il encore s'étonner, donc philosopher ? - Dans quelle mesure philosophie et théologie sont-elles liées ? »

La philosophie a rarement eu un défenseur aussi convaincant que Pieper. Il s'adresse à nous à partir de l'abondance de son coeur et de son intelligence, où la connaissance est devenue sagesse.

L'étonnement est le principe même, la source permanente et intrinsèque de l'acte philosophique.

La richesse de l'homme ne tient pas à l'assouvissement de ses besoins ou à la volonté de devenir maître et possesseur de la nature, mais à la possibilité de voir ce qui est - la totalité de ce qui est.

C'est bien là l'ambition de la philosophie chrétienne : être plus vraie en reconnaissant le caractère mystérieux du monde.