Film ist.

La pensée visuelle selon Gustav Deutsch

Dans le courant de l'année 1995, en marge des commémorations qui ont entouré le centenaire du cinématographe Lumière, l'artiste autrichien Gustav Deutsch s'est lancé dans une vaste entreprise de récapitulation visuelle baptisée Film ist . Comme en réponse à la fameuse question ontologique formulée par André Bazin (« Qu'est-ce que le cinéma ? »), il s'agissait, pour Deutsch, de produire une définition du cinéma en acte, au départ de son propre matériau, dans une perspective ouverte par les travaux de Bruce Conner (A Movie, 1958) et de Ken Jacobs (Tom, Tom, the Piper's Son, 1969).

Fruit d'un minutieux travail de recherche en archives, Film ist. se présente aujourd'hui sous la forme d'une ample trilogie. Le premier volet de l'oeuvre, Film ist. [1-6] (1998), s'intéresse principalement au cinéma comme invention de laboratoire et mobilise à cet effet un large éventail d'images prélevées sur des films scientifiques et industriels. Achevé en 2002, le deuxième volet, Film ist. [7-12], s'interroge sur la naissance du cinéma comme spectacle et brasse, pour ce faire, des fragments tirés d'environ 200 films muets. Dernier volet en date de cette trilogie ouverte, Film ist. a girl et a gun (2009) entend questionner, parmi d'autres choses, les représentations contrastées que le cinéma a pu donner des relations entre les hommes et les femmes.

Repensant à neuf les puissances analytiques du montage, Film ist. [7-12] multiplie les noeuds problématiques et envisage le cinéma tour à tour comme document, comme instrument de conquête, comme prestidigitation, comme véhicule d'émotions et de passions, etc., dans une oeuvre qui tient à la fois de la nomenclature et du dédale. Tout au long du subtil parcours élaboré par Gustav Deutsch, c'est une conception du cinéma et de ses relations au monde qui s'affirme dans la chair même des images, donnant tout son sens à la notion de pensée visuelle mise au point par Rudolf Arnheim.

Le présent ouvrage opère une immersion dans Film ist., en se focalisant sur le panneau central du triptyque. En vertu d'un parti pris méthodologique simple et rigoureux, il s'agit de suivre l'oeuvre pas à pas, jusque dans ses moindres recoins. Lecture rapprochée, chevillée à son objet, qui n'en autorise pas moins diverses transversalisations et qui permet de dégager, chemin faisant, les rapports que cette oeuvre protéiforme entretient aussi bien avec le cinéma des premiers temps qu'avec les avant-gardes des années 20 et le cinéma de found footage contemporain (de Ken Jacobs à Peter Tscherkassky, en passant par Peter Delpeut, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, etc.).