L'acteur, s'il peut éprouver parfois l'illusion tenace de vivre plusieurs vies, ressent aussi, quand il ne joue pas, le vide entre chacune de ses vies.
Comme s'il n'existait pas vraiment. Il sait bien qu'il s'agit d'effacer tout ce qu'il sait ou croit savoir et devenir une feuille blanche lors de chaque nouvelle création, prêt à n'être « rien » dans le but de devenir « tout ».
Il se doit de disparaître et d'aller hors de ce qu'il connaît, explorer les territoires de l'hors-jeu pour mieux se métamorphoser par la suite.
Nombreux et précieux sont, pour lui, ces temps de latence et de vertige, à la périphérie du jeu, avant ou après le spectacle, passés à rêver sa vie plutôt qu'à l'accomplir, à observer et à attendre plutôt qu'à agir et à jouer.
Lors de tels moments, l'acteur se confronte à un vide sans doute nécessaire; il fait mûrir en lui sa recherche de l'inconnu, à partir duquel il va donner forme à une nouvelle chimère.
Ce livre s'offre, au travers d'une quarantaine de textes de forme et de facture différentes, comme une profonde réflexion sur les relations cruciales, inextricables, entre le réel et la fiction. Analysant les mots et maux du comédien et dessinant en creux un éloge de ceux qui se lancent sur les traces de l'inconnu, Gabriel Dufay nous invite à faire un voyage au pays de la littérature, du théâtre et du rêve.
Il rend ainsi tous ses lecteurs un peu acteurs, en les faisant participer à un étonnant jeu de pistes, des couloirs du Conservatoire aux coulisses des répétitions, des studios de la radio aux plateaux de cinéma, mêlant scènes vécues, scènes imaginaires, poèmes et fragments sur l'étrange métier de jouer, de lire, de créer.
Ce livre inclassable, à la fois vigoureux et mélancolique, surprenant par la multiplicité des registres et des thèmes qu'il aborde, découvre un paysage artistique contemporain et intime, éclairant le théâtre comme un art miroir du réel, où le lecteur verra apparaître les reflets fantomatiques de Bartleby, Oblomov, George Sanders, Fantômas, Robert Desnos, ou encore Nathalie Sarraute et Novalis.
Michel Bouquet se manifeste, au long de ces entretiens, dans toutes ses contradictions. Il porte un regard lucide sur l'âme humaine et le déclin culturel et moral de notre monde.
Il s'approche de la mort, s'y préparant en toute quiétude et se rapprochant de plus en plus du passé, des auteurs, du théâtre qui demeure son seul refuge. Bouquet apparaît comme le narrateur de la Recherche du temps perdu de Proust, se rendant compte que les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus. Non qu'il soit passéiste, mais simplement porteur d'une splendeur passée, d'un idéal humaniste qu'il a pu voir de ses yeux, prenant conscience du siècle qu'il a traversé et du temps qu'il retrouve à la fin de son voyage, voyant briller l'étoile qu'il a suivie depuis le commencement.
Ce serait cela, la vocation, une étoile qui protègerait tous les rêveurs. Bouquet se distingue comme un homme d'un autre temps, un ascète rigoriste animé par une foi profane et existentielle, se plaçant en retrait des auteurs qu'il vénère comme des idoles. Le théâtre est sa seule et unique religion.
La question qu'il pose tout au long de ces entretiens, se résume en ces termes : comment vivre sans croire ? ou bien même, plus profondément : comment vivre sans croire au théâtre ?
Le Paradoxe sur le comédien de Denis Diderot n'a cessé, depuis sa parution, de susciter toutes sortes de controverses, de s'attirer des partisans enthousiastes ainsi que des détracteurs farouches, ces derniers se retrouvant souvent chez les gens de théâtre, directement impliqués dans la réflexion.En guise d'ouverture à ce texte canonique, Denis Podalydès se prête au jeu d'un échange avec Gabriel Dufay. Les deux comédiens s'entretiennent autour du Paradoxe, ses prolongements et ses résonnances dans leurs générations et parcours respectifs. Conversant à bâtons rompus, ils s'interrogent sur l'essence du jeu et s'amusent de leurs propres paradoxes.Bien plus qu'une nouvelle édition critique du Paradoxe sur le comédien, cet ouvrage offre un autre éclairage sur une Oeuvre tant commentée, en la confrontant à l'expérimentation de la pratique d'acteur.Gabriel Dufay est acteur et metteur en scène. Directeur artistique de la Compagnie Incandescence, il a mis en scène des textes de Thomas Bernhard, Nathalie Sarraute, Robert Desnos, Roland Schimmelpfennig, Jon Fosse. Il a incarné récemment pour la télévision Louis XVI et joué au cinéma dans Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais.Denis Podalydès est acteur et metteur en scène. Sociétaire de la Comédie Française, il est également l'auteur de Scènes de la vie d'acteur (2006), Voix off (2008, prix Femina Essai) et La Peur, Matamore (2010). En 2013, il met en scène L'Homme qui se hait d'Emmanuel Bourdieu au Théâtre de Chaillot, avec Gabriel Dufay.