«Alors, cet oeil merveilleusement unique, ce cyclope sans coeur, que voit-il ? Il voit Antoni Casas Ros assis dans un fauteuil devant sa baie vitrée. Moi, je regarde la mer et le ciel, lui il me voit en train de regarder. Il ne cherche pas à s'accrocher à du connu. Il ne glose pas sur la petite dune qui au milieu du visage fait office de nez. Il ne remarque pas que les narines sont outrageusement importantes, on dirait des raisins de Corinthe oubliés dans l'eau tiède. Non. Cet oeil voit.» Défiguré à la suite d'un accident, le narrateur émerge lentement de sa solitude et explore le monde duquel il s'était retiré. Le double regard, celui, distant, d'Almodóvar qui le filme et celui, passionné, d'un transsexuel, lui fait comprendre peu à peu qu'il y a une fête au centre du vide.
Les faits décrits dans ce roman sont purement imaginaires, notamment la relation entre le héros et Pedro Almodóvar.
Lento est un enfant particulier. L'heure est maintenant venue pour lui de sortir au grand jour. Mais ce petit être prend son temps, petit à petit, il évolue vers le monde qu'on lui impose. Il sort d'abord la tête, puis une épaule, et, encore bien installé au chaud dans le cocon du ventre de sa mère, il contemple le monde extérieur, y trouve de la beauté, regarde les yeux brillants d'une infirmière, respire les odeurs, écoute le murmure des feuillages des arbres dehors. Ce glissement durera soixante douze jours, rien que ça.
Lento grandit, Lento n'est décidément pas comme les autres, ou bien est-il simplement beaucoup plus sensible. Le monde entier (les médecins, les psychiatres, les gens) le montre du doigt, Lento n'est pas un enfant comme les autres ! Il est certainement débile, oui, il est lent ! Mais peut-être est-il simplement plus intelligent. Cette lenteur qu'on lui reproche lui permet de développer ses sens. Lento est un voyant. Il rencontre une fille et c'est l'amour qui s'empare d'eux. Elle, elle est la plus rapide du monde, lui, il lui apprend la lenteur.
Le regard du mort passe et ne s'attarde pas. Il n'effleure pas, il ne caresse pas, il devient un élément de la nature, une perle noire dans la jungle, un ami des feuilles de bananier et des colibris étincelants dans le bourdonnement de leurs ailes agitées. Le regard jouit. Il fait naître, il humidifie. Une rencontre sans témoins au coeur de la solitude. Trompes marines, cromornes, serpents sonores et noirs.
Antoni Casas Ros a excité la sphère journalistique pendant plusieurs années après son premier roman auréolé de succès : Le théorème Almodovar. Cet écrivain que pas même son éditeur n'avait rencontré était-il bien le jeune homme accidenté et défiguré se cachant du monde qu'il disait être ou une figure énigmatique inventée pour un autre ? Mais ce qui a trop souvent échappé aux journalistes sont l'inventivité de son écriture et l'intrépidité de son imagination qui viennent ranger cet écrivain aux côtés de Julio Cortazar ou James Joyce.
« Je suis atteint d'un mal étrange, non répertorié par la psychiatrie, un mal dont je connais la source avec précision mais qui perdure depuis l'adolescence en dépit de tous mes efforts pour m'en libérer. Devant le silence effaré de mes interlocuteurs, j'ai donné un nom à ce mal. Après une longue hésitation, faute de mieux, je l'ai appelé : syndrome Enigma. » Antoni Casas Ros mêle fiction et vie, à l'écoute des mystères du monde. Sous le patronage amusé de Vila-Matas, le récit se fait ronde, les lecteurs créateurs, les poètes tueurs à gages... L'auteur du Théorème d'Almodóvar nous offre une nouvelle histoire, sensuelle et douloureuse.
« Splendeur des corps nus qui s'approchent du parapet sur lequel ils montent. Dernières secondes de silence. Ils redescendent, prennent du recul, une dizaine de mètres. Ils s'embrassent les uns et les autres puis chacun prend ses marques et dans un cri : "Freedom !" ils s'élancent franchissent le parapet, et se jettent dans le vide. Le toit désert. Je me penche et vois les corps nus voltiger, certains plus loin que d'autres. Des cris instinctifs, des visages qui se lèvent vers le ciel et voient cette pluie de corps libres qui vient percuter l'asphalte dans un bruit mat. D'autres cris s'élèvent. Seuls les corps disloqués et sanglants ont atteint le grand silence. Je vomis, mon corps se met à trembler. » Je suis Chroniqueuse. J'ai dix-huit ans. Je vis à Barcelone. Vendredi soir. Je vais à une fête. Les images du sacrifice des membre de Flying Freedom passent en boucle sur toutes les chaînes de télévision, sur les blogs. Plus de sept mille blogs créés depuis l'événement londonien. Les tours, les ponts, tous les lieux desquels on pourrait se jeter sont surveillés. Des hélicoptères coupent le ciel de leurs pales. Flying Freedom a éclipsé le terrorisme. Le ciel n'est pas contrôlable.
Une observation précise des oreilles conduit le narrateur à méditer jusqu'à l'hallucination sur le silence ; du sucre répandu sur une table évoque un monde secret ; l'immobilité d'une jeune fille pendant des heures à une terrasse de café ; les rites funèbres d'un club érotique barcelonais ; un dictateur se décompose physiquement pendant l'audition de la symphonie de Franck ; pourquoi les Japonaises ont la peau blanche ; une nuit dans la maison de Frida Kahlo ; l'art d'un faiseur de bulles ; une nageuse unijambiste, et bien d'autres anecdotes, choses vues ou entendues, rêves, réflexions, redéfinitions du réel, etc...
Antoni est un jeune auteur embauché par le Cabinet des investigations littéraires. Pendant un an, il doit décrire le monde selon une esthétique. Antoni choisit celle du chaos et une destination : New York. Le monde vit alors sous la menace d'un vaste réseau terroriste visant à instaurer le chaos. Arrivé à New York, Antoni rencontre une street artist, Anca, qui émaille la ville de tags érotiques afin de stigmatiser le puritanisme américain. C'est le début d'une folle passion qui les pousse à sillonner l'Amérique à la recherche de Tomas Emin, écrivain mythique, qu'ils rêvent d'interviewer.
Durant leur périple, ils écrivent des fictions qui s'entremêlent avec leur propre réalité. Il convient alors de voguer d'une fiction à l'autre et de gommer les identités : nous sommes ce que nous lisons, ce que nous écrivons.