« Chaque matin, quand Cézanne part au motif, il en appelle à ces témoins, divinités minérales, ligneuses ou liquides, traversé par cette certitude que ce qu'il cherche est au-delà du temps des hommes, au-delà de ce qu'ils voient : cet inespéré qui chaque fois surgissant semble être là depuis toujours, cet éternel présent. » Quand ses yeux fatigués amènent Cézanne à rencontrer Barthélemy Racine, ophtalmologue de génie, et son épouse Kitsidano, jeune Indienne aveugle de naissance, qui voit ce qui ne se voit pas, un monde encore plus mystérieux s'ouvre à lui.
Cette quête éperdue de la beauté nous invite à redevenir les témoins éblouis de la terre où nous vivons. Ce roman visionnaire fait écho à une actualité vibrante et tisse un lien subtil avec les précédents ouvrages d'Anne Sibran, Je suis la bête et Enfance d'un chaman (prix Écritures & Spiritualités 2018).
« Un jour, ils m'ont poussée dans un placard, puis ils ont refermé la porte. Et je ne les ai jamais revus. Ni la femme qui m'a sortie de son ventre. Ni l'homme qui me portait un peu. J'aurais dû en mourir, s'il n'y avait eu cette bête, entrée par la forêt, sous le carreau cassé. Et j'ai sucé son lait, et j'ai suivi son pas... »
«La plante t'envoie parfois le tigre. Il est comme toi, jeune et fougueux, maladroit, la patte large, percluse de griffes. Il saute sur ta poitrine et ton corps s'alourdit. Ton souffle s'éteint presque, tandis qu'il t'emporte, les yeux larges, les babines retroussées. Tu chasses avec lui. Tu t'embusques. À la nuit, ta prunelle s'élargit et la voix qui s'échappe rugissant de ta gorge résonne si loin que tu t'arrêtes parfois, te retournes... et ne trouves que toi. Cette empreinte ronde sur le sable de la berge. Ce sang lapé comme un lait chaud. Cette dent vivante, impatiente de percer. Que toi, l'enfant tigre.» Mêlant le fantastique à la réalité d'aujourd'hui, ce roman chamanique étourdissant est porteur d'une spiritualité immédiate et profonde.
"Je me souviens plus trop des bras. Ni du chaud. Ni du reste. La fumée sur l'assiette, un habit sur la peau. Je ne sais plus que la morsure des branches, et le froid sous la pierre. L'haleine du lapin, égorgé sur la mousse. Et l'ombre des feuillages pour me faire un manteau.
Depuis que je suis sous les arbres... Tombée comme ça dans la forêt. Avec partout ce mauvais air. Les yeux qui brûlent. Et la tête en allée.
Je me souviens plus trop des hommes. Seulement pour m'enfouir sous les feuilles, quand ils approchent. Et le ventre qui palpite d'une terreur sans mots."
"Nous, les Indiens, on sait bien que le diable vit avec nous dans la mine, sous la Montagne d'argent. C'est pour lui que je suis descendu cette nuit-là, au fond des galeries. Ce que j'avais à faire est impensable. Je l'ai fait."Porté par une langue envoûtante qui traverse l'univers âpre et lumineux des heuts plateaux andins, ce roman visionnaire révèle, en ces temps de crise, une part de la réalité d'aujourd'hui.
" J'ai d'abord su voler.
Je sais que beaucoup l'expérimentent lorsqu'ils vont s'endormir, éprouvant ce vertige irrésistible, quand le corps se débat, tournoie dans un vide sans fin. Mais pour moi c'était vrai. Tôt le matin, l'après-midi en été, le soir après l'école, un peu avant la nuit : j'affirme avoir volé tous les jours jusqu'à l'âge de huit ans. Et je conserve aujourd'hui encore une mémoire si précise de chacun des voyages, le temps, les rencontres et les sensations, qu'il me semble impossible de ne les avoir point vécus.
Le rêve ne marque pas la vie avec une telle précision. Et l'eût-il fait que je m'en remettrais aussitôt à cette réalité paradoxale comme à la seule expérience authentique qui me soit jamais advenue. J'ai existé par le vol. Tout le reste, après, mérite à peine qu'on le dise. " Le vol ou l'art du vide ; le vertige ou l'art de l'abîme ; le fil ou l'art de l'équilibre : une somptueuse symphonie en trois mouvements, ou comment le principe de gravité rappelle à leur destin les âmes brisées par une enfance meurtrie.
Dans cet intervalle entre le prévisible et le cartographié, il y a tous ces événements infimes qui percent un instant à la surface du monde, le temps d'une inadvertance. Parce que rien ne nourrit la vie comme ces fragments d'entraperçu, depuis plus de dix ans, Anne Sibran tient ces chroniques, en parallèle de son travail de romancière.
Magda, la petite taupe, vit heureuse dans son atelier d'artiste dans le monde d'en bas. Pourtant, quelque chose lui manque... jusqu'au jour où lo, le papillon, l'entraîne au grand jour dans le monde d'en haut qui lui réserve bien des surprises.
Il pleut depuis des jours, l'eau monte dans la taupinière. C'est la panique! Luis, le rat trompette, accourt pour mettre tout le monde à l'abri. Sur le chemin, seule Magda s'émerveille. Elle est loin de se douter de l'aventure qui l'attend près de la mare...
Un jour mon père est venu me chercher.
C'était au coeur de la nuit noire, quand la brume rentre dans les maisons. On s'est levés sans faire de bruit. Je croyais qu'il m'emmenait à la chasse. Je croyais revenir chez moi dans quelques heures. Alors je n'ai rien pris.
Comme son grand-père et son père avant lui, un petit garçon de huit ans est confié à la forêt amazonienne. Seul au coeur de la jungle, il va rencontrer les esprits, les plantes et les animaux qui le guideront et lui apprendront à voir l'invisible. Cette initiation fantastique fera de lui l'enfant-jaguar, futur guérisseur de sa tribu.
1939. Alors que le feu de la guerre couve en Europe, Éliane est en mission anthropologique au Paraguay, où elle étudie la tribu des Mbyas.
Observant l'apathie qui semble s'être abattue sur les Mbyas, la jeune femme fi nit par comprendre que ce peuple, acculé par la colonisation de ses territoires par l'homme blanc, se prépare en réalité à quitter le village, en quête d'une contrée mythique, La terre sans mal. Décidée à les suivre, elle ne mesure pas encore les sacrifi ces, le renoncement et le dépouillement que va exiger d'elle cette longue marche pleine de peurs et de doutes. La quête de ce peuple condamné par l'appétit expansionniste des Blancs se confond en effet bientôt avec celle, intime et initiatique, qu'entame Éliane au coeur de la forêt amazonienne.
Au crépuscule, deux grands yeux jaunes brillent au fond du jardin. Une petite fille les guette chaque soir, en fermant les volets. Une panthère noire est là, tapie sous le buisson.Au fil des mois, la fillette et la bête se rapprochent et s'apprivoisent.Une nuit, l'enfant passe la haie du jardin pour se laisser guider par le fauve dans un monde magique et bouleversant, où les bêtes sont les alliées des hommes. Un voyage qui la rend audacieuse et lui montre qu'elle n'est plus seule, désormais, pour traverser la vie.Anne Sibran fait partager au jeune lecteur l'expérience d'un voyage initiatique. Sa prose détaillée et imagée nous immerge dans un monde onirique et fascinant. Renouant avec les traditions animistes dont elle est familière, l'auteur donne au fauve le rôle d'un guide-protecteur éclairant le chemin de l'enfant qui se construit.
"tu as fermé à clef, mais à quoi bon ? ils vont venir voler ton teppaz, piétiner tes gershwin, pisser sur ton lit.
à ce moment, tu les détestes. ils sont joyeux et tu voudrais pleurer. crier. vomir. mais tu traverses, imperturbable, les rumeurs de musique arabe, les youyous, les klaxons. demain, l'indépendance. ils ont déjà les drapeaux. tu marches plus vite. une rafale de mitraillette... la ville continue de parler dans ton dos. tu ne t'es pas retourné. toi, tu aurais voulu partir en éteignant la lumière... laisser l'algérie dans le noir.
Le noir pour l'éternité." pour dire le déracinement, les illusions, les craintes, les blessures d'un homme arraché à sa terre natale, anne sibran donne une âme aux mots. pour dire aussi l'amour d'un père et d'une fille. tout en retenue, loin de son humour parfois mordant, optant pour une narration graphique sobre et impeccable, soulignée par des couleurs franches et expressives, didier tronchet nous surprend et nous émeut.
à y regarder de près, ce qu'elle mérite, là-bas est une oeuvre magnifique.