« (...) Avec la peau d'ours, c'est un peu la même chose. Image-objet en tant qu'ouvrage de pelletier, elle devient animal lorsque je la caresse. Ce dédoublement ne lui est pas imputable. Seul un dérèglement de mes sens peut l'expliquer. Tantôt je vois la peau, tantôt je vois l'ours. Mon lien à l'une et à l'autre n'est pas le même et pourtant la confusion se produit quelquefois. Ne m'arrive-t-il pas, en me glissant sous le pelage pour me reposer un instant, de me mettre dans la peau de l'ours ? Comme au carnaval, le masque efface les différences; tout se fait louche et équivoque.» Exhumant, de la benne aux encombrants dans laquelle elle a été jetée comme un vieux tapis élimé, une peau d'ours sans griffes ni tête, le narrateur, mû par un irrépressible élan fraternel, la recueille. Se doute- t-il qu'en adoptant cette dépouille et en ravivant son pelage, il va bousculer « les choses tranquilles » et réveiller un monde endormi ? À la vérité, lequel va patiemment apprivoiser l'autre ? L'homme ? L'ours ? Lequel, les yeux mi-clos, le museau tendu vers les astres et la mémoire errant, hiverne et s'enfonce jour après jour dans un demi-sommeil peuplé de rêves étranges et de souvenirs enfouis ? Enfin auquel des deux attribuer ces empreintes, griffures dans la coulée ou signes d'encre abandonnés sur la page, immémoriales traces de la fuite éperdue des bêtes ?
La mâchoire dévorée par une tumeur résistant ´r la radiothérapie elle s'était développée ´r l'apex de la canine, le croc inférieur chez le loup , le narrateur doit se résoudre ´r subir une Tmandibulectomie sub-totale, antérieure et latéralet. Opération Tdélabrantet, lui annonce-t-on, ´r la suite de laquelle il faudra réapprendre ´r parler, ´r déglutir, ´r se nourrir. Et surtout faire face ´r ce que sera son nouveau visage.
Mais cette Topération de la dernicre chancet pour empecher la tumeur d'atteindre des régions chirurgicalement inacessibles sera aussi l'occasion pour lui de déposer le masque, de se glisser derricre le rideau des apparences et d'approfondir son lien ´r l'immémorial bestiaire.
Amputé, dira-t-il, et pourtant tout se tient... Comme cette louvicre, récit ´r la fois de ces lambeaux de vie et ample manteau cousu de peaux de loups ´r l'orée de l'hiver.
On disait : l'ourle...
A personne parmi nous l'idée ne serait venue de dire "l'eurée du bois", "l'orle de la forest". L'ourle, c'était autre chose. La sauvagerie, l'écart, la vieille méfiance des bêtes et des hommes. C'est pour l'ourle que je suis revenu.
Pour cette ultime lisière lorsque monte le soir avec ses sortilèges et sa sombre magie. Le temps, un fil à l'endroit, un fil à l'envers, y tisse sa toile. Et la mémoire s'embrouille à vouloir retenir, dans ses rets, les ombres incertaines.
C'est pour l'ourle que je suis revenu. Pour le silence. Et pour l'oubli.
« La Souche », - ainsi prit-il l'habitude de l'appeler - lui apparut dans la lumière déclinante de l'après-midi.
Elle se tenait immobile sur le pontage-avant de la vieille barque. C'était un tableau étrange. Le grand vide de l'étang. Un envers du décor que l'eau, en se retirant, avait révélé. La barque plate, prise dans la vase à marée basse, tirant mollement sur sa chaîne. La souche s'y était cam- pée, statique comme une figure de proue. La première, depuis son promontoire, elle l'avait aperçu marchant le long des peupliers. Elle s'était tendue. Aux aguets. Bref et imperceptible sursaut qui avait suffi à trahir sa présence auprès de l'homme. Car, dans ce mouvement furtif, il l'avait reconnue. Elle avait cette façon de se tenir ramas- sée sur elle-même que l'on n'oubliait pas, de se confondre au bois de la barque comme, l'autre matin, souche parmi les souches, elle s'était confondue aux arbres noyés qui émergeaient de la vase.
À La Tremblaie, tous - Delhot, Mélie, le facteur...
- affirment avoir aperçu un chat à tête de chouette.
Serait-il le fruit d'un accouplement contre nature, un survivant de la faune ancienne ou l'une de ces « bêtes ignorées » dont nous parlent les cryptozoologistes ?
Infatigable coureur des bois, André Delhot, tout au long du récit-journal qu'il consacre à l'affaire, s'efforce-t-il vraiment de la tirer au clair ? Ou, au contraire, s'attache-t-il à brouiller les pistes ? Mais alors, à quelle fin ?
Alors qu'il s'apprête à en finir avec le métier, le narrateur s'interroge sur l'origine de ce double pupitre en bois ciré ' un chameau, disent les ébénistes dans leur argot ' sur lequel, depuis près de quarante ans, il s'obstine jour après jour à pousser la plume.
L'histoire de cet étrange meuble à écrire, fabriqué à bois perdu, par un artisan de village, se perd en Basse-Normandie, du côté de Falaise. Serait-il, comme l'enquête le donne à penser, celui de Bouvard et Pécuchet, les deux copistes de Flaubert ? Ces derniers, de manière plus troublante encore, avant de devenir des personnages de roman, n'ont-ils pas été deux rentiers ayant réellement existé ?
Sur les traces du chameau, on ne peut que remonter le temps. Et voyager à travers un siècle et demi qui connut la disparition de la plume d'oie, la naissance de celle en acier jugée « dangereuse et pouvant blesser », l'invention des premières « machines capables de retranscrire les lettres aussi bien que l'écriture manuelle » et l'avènement du numérique.
« Que devient la vie après la mort ? » Cette question, il se la posait déjà lorsque nous étions en seconde.
C'est à ce moment-là que Lucas se mit à naturaliser les bêtes mortes qu'il trouvait le matin au bord des routes. Et, comme le lui avait appris le vieux coureur de bois, à laver, peau-en-poil, leurs dépouilles à la rivière.
Mais ensuite que s'est-il passé ? Quel troublant secret a-t-il découvert, à contre-courant, sur le tard de l'existence ? A mon tour, j'ai refait le chemin. J'ai mis, dans ses pas, mes pas. J'ai prêté l'oreille au silence des bêtes. Il m'a semblé alors que la lisière, entre le mort et le vif, devenait de plus en plus incertaine, de plus en plus poreuse. Et que, Lucas et moi, nous n'étions peut-être plus tout à fait deux.
Taxidermie, peinture, chamanisme. Ce livre res- semble à un voyage pas très rassurant en vieille magie.
Entre étangs de la Brenne et étangs de Sologne, le vrai et le faux se côtoient, le réel et son reflet, l'envers et l'endroit. Les mots y sont comme envoûtés : brun de momie, savon arsenical, attrape-rêves. Et l'on se laisse prendre à cette incantation de la langue. La littérature serait-elle la seule capable de « tromper la mort » ?
Jour distraire de sa tâche. La migration des fauvettes, la découverte dans le parc à l'abandon d'essences forestières venues d'autres latitudes, l'odeur de caveau et d'eau morte montant de l'allée de buis et celle, mêlée d'encre, de salpêtre et de cire, infusant dans la pièce aux écritures, suffisent à troubler la procession des chapitres.
Il ne reste plus alors au lecteur, soucieux de retrouver son chemin, qu'à avancer à l'estime parmi les paragraphes et les paysages de ces dix récits, simplement cousus d'un ourlet de haie vive.
Des biographies consacrées à Colette, on en compte à la dizaine.
Fallait-il, dès lors, ajouter ce livre à une liste déjà longue ? Oui, assurément oui ! Car l'auteur, cette fois, ne s'est pas contenté de raconter la vie de Colette, il est allé la surprendre au coin du bois, en cette Corrèze où, jadis elle brouilla les pistes, fut baronne onze ans durant. Et quelle baronne ! Alain Galan a retrouvé les ultimes témoins, dénoué l'écheveau des souvenirs, fouillé la correspondance, gratté le vernis des apparences et mis à jour de troublantes Coïncidences.
Colette revisitée ? Certainement, mais avec autant d'amour que d'impertinence et cela donne un livre singulier. C'est ce livre-là que je suis heureux de publier pour le cinquantenaire de la mort de Colette.